Mésaventure d’un chauffeur milliardaire
(1906)



Les milliardaires américains en prennent un peu trop à leur aise avec notre vieille Europe. La plupart d’entre eux sont des chauffeurs –où plutôt des chauffards- exaspérés ; et c’est sur nos routes qu’ils viennent exécuter leurs randonnés les plus enragées.

Avez-vous remarqué ce fait que, les trois quarts du temps, quand se produit chez nous un grave accident d’automobile, un accident suivi de mort, l’auteur est un étranger ? C’étaient des américains, ces époux Fair dont la mort tragique fit naguère tant de bruit ; c’était un grec, ce chauffeur qui écrabouilla sur le boulevard de Port-Royal le bon poète Quellen. Aujourd’hui encore c’est un américain qui cause un grave accident en Italie et soulève autour de lui l’indignation par son attitude agressive.
Ces jours derniers, M. William Vanderbilt, le chauffeur milliardaire bien connu, faisait en Toscane une promenade en automobile en compagnie de sa femme, lorsque, dans la rue principale d’une petite localité nommée Pontedera, sa voiture renversa un petit garçon de cinq ans. Comme on croyait au premier moment que l’enfant était mort, une foule de paysans entoura l’automobile, menaçant M. Vanderbilt, qui sortit un revolver de sa poche.

Cette démonstration exaspéra la foule ; on lui arracha l’arme de la main et on se mit à le frapper à coups de poings et de bâton. M. Vanderbilt dut se réfugier avec sa femme dans la boutique d’un parent de l’enfant blessé. La foule décidée à lyncher l’étranger, assiégea la boutique.
Sur ces entrefaites arrivèrent des carabiniers qui eurent grande peine à écarter les manifestants et arrêtèrent M. Vanderbilt et son chauffeur.

Quant au petit garçon ses blessures, heureusement, ne sont pas mortelles.
L’aventure, cette fois, du moins, n’aura pas un dénouement tragique. Mais elle démontre une fois de plus la nécessité de mettre les populations des campagnes à l’abri des excès de vitesse de quelques « chauffards » incorrigibles.

Au lendemain de la mort de M. Juttet, causé au mois d’aout 1905 par une automobile, le ministre de l’intérieur constitua une commission extra-parlementaire destinée à réglementer définitivement la circulation des automobiles.
D’autre part une commission parlementaire, dont M. Pierre Baudin est le président a été chargée de cette réglementation.

Souhaitons que les travaux de ces commissions nous donnent le plus tôt possible l’assurance que nous ne verrons plus l’été prochain nos belles routes de France livrée aux débordements d’une poignée d’énergumènes assoiffés de vitesse.

Souhaitons surtout qu’à l’exemple de la Suisse qui se montre si énergique dans la répression des excès de vitesse, les sévérités de nos tribunaux engagent les chauffards étrangers à rester dorénavant chez eux.

 
Article relevé dans le petit journal du 11 mars 1906.



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