Les survivants de la catastrophe de Courrières (1906) |
Quelle odyssée lamentable et
terrible que celle des emmurés de ces hommes et de ces enfants qui
composaient le groupe mené par Pruvost,
ou de ce Berton
qui demeura seul vingt quatre jours au fond de la mine, et qui après
des tortures sans nom parvinrent enfin à revoir la lumière.
Rampant à tâtons dans une obscurité opaque et étouffée, prisonniers des galeries mortes où leurs mains faisaient parfois la découverte d’un cadavre, ils ont trouvé chaque jour au bout de chaque piste un mur ou un éboulis. Ils ont rodé ainsi pendant des heures qu’ils ne pouvaient pas compter. Les malheureux marchaient sur les corps entassés de leurs camarades, se heurtaient et dans l’obscurité aux éboulements qu’ils dégageaient tant bien que mal, tirant les pierres avec leurs mains pour se frayer un passage. Heureusement, à ce moment, les mineurs errants rencontrèrent une écurie du fond. Dans cette écurie, ils trouvèrent des carottes et surtout de l’avoine et du coupage de paille de foin servant à la nourriture des chevaux. Ils en mangèrent et en emplirent leurs poches. De temps à autre, dans l’obscurité, on frottait une allumette, dont certains mineurs étaient heureusement pourvus, et on regardait l’heure à la montre de Nény. On calcula ainsi les jours, d’après cette montre, mais sans songer qu’elle avançait et que la montre marchait plus de vingt quatre heures. Ainsi, calculèrent-ils mal, et, lorsqu’ils remontèrent, croyaient-ils n’être restés que quinze jours au fond ! Quand l’avoine vint à manquer, certains mâchèrent des éclats de bois arrachés aux boisages ; tous mangèrent la viande d’un cheval mort au fond ; plusieurs sont remontés avec des morceaux de cette viande pourrie dans leurs poches ! Comme boisson, l’eau faisant défaut, ils burent leur urine ! Comment ont-ils pu résister et au mauvais air et aux émanations pestilentielles des cadavres, à cette nourriture effroyable ? C’est un problème que les médecins eux-mêmes ne se chargent pas d’expliquer. Aujourd’hui, ces « rescapés » comme on les appelle dans le pittoresque et rude idiome du pays, ont repris les forces perdues, et, pour leur retour à la lumière et à la vie ils ont eu l’émotion profonde de voir un ministre leur apporter en personne la récompense de leur courage et le témoignage d’admiration du pays tout entier. A Pruvost, le plus ancien du groupe héroïque, a celui qui guida ses camarades dans les ténèbres, M. Bartou a dit : « Je suis heureux et fier aussi, de vous apporter, avec mes félicitations personnelles, les félicitations du gouvernement de la République. Je vous remercie et je vous félicite du merveilleux courage que vous avez montré en ces pénibles circonstances ; par votre dénouement, par votre admirable présence d’esprit, vous avez sauvé la vie de vos camarades. Je vous apporte la croix de la légion d’honneur et je la donne en même temps qu’au vaillant que vous êtes, au brave homme qui a trente ans de service dans la mine, au père de famille, à l’ouvrier honnête et sérieux, probe, estimé de tous, admiré par tous, qui a été un parfait honnête homme et dont la vie entière de travail et d’honneur est un exemple vivant. Vous vous êtes très bien conduit pendant vingt jours au fond de la mine mais vous étiez toujours bien conduit. Je suis donc tout particulièrement heureux au nom du gouvernement de la République de vous faire chevalier de la légion d’honneur. » A Nény, qui, par son entrain, sut relever le moral de tous et inspirer confiance autour de lui, le ministre a parlé ainsi : « Et vous aussi, vous vous êtes bien conduit ; vous avez fait plus que votre devoir et vous avez encore ajouté à cet héroïsme en faisant avec élan l’éloge de votre camarade Pruvost, et en le désignant vous-même. Si Pruvost a guidé ses camarades dans la mine vous, vous les avez soutenus par votre bonne humeur, par vos paroles réconfortantes, par votre inlassable espoir. Vous avez été leur soutien moral, vous leur avez conservé l’espérance, vous les avez protégés contre leur propre faiblesse. Le gouvernement est heureux de vous associer à Pruvost, et c’est au nom du président de la République que je vous fais chevalier de la légion ‘honneur. » Enfin M. Barthou, s’adressant à tous les autres survivants, leur dit : « Et vous tous, mes amis vous avez été aussi de braves gens. Dans cette terrible aventure vous avez tous payé de votre personne, tous vous avez contribué au sauvetage de vos camarades. Vous êtes dignes aussi d’être récompensés. J’ai la joie de vous annoncer que le gouvernement vous décerne à tous la médaille d’or de 1re classe, la médaille qui récompense les grands dévouements et les belles actions des hommes courageux. » Et d’une commune voix, les « rescapés » répondirent ce simple mot : -Che ben ! Que ce « c’est bien » n’étonne pas nos lecteurs et ne leur fasse pas croire que les mineurs ont manqué d’enthousiasme et se sont contentés d’une sèche approbation. Ce « c’est bien » est, au contraire chez ces gens naturellement froids et peu enclins au sentiment, une exclamation familière qui caractérise l’absolue satisfaction. Ce « c’est bien » signifie qu’à leur avis il leur a été fait pleine justice et qu’ils sont contents sans arrière pensée. Puissent à présent se terminer au plus les conflits qui désolent cette région minière déjà si éprouvée. Puissent les solutions pacifiques intervenir pour la prospérité de l’industrie et la tranquillité des travailleurs ! Et ce sera alors le tour de la France entière de dire : « C’est bien ! » Article et gravure relevés dans le petit journal illustré du 15 avril 1906. |
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