Emilie, la jeune fille et la mort
(Niort, 1942)



Nos articles sur les 60 ans de la libération du camp d’Auschwitz ont réveillé le souvenir d’Emilie Liebermann, 14ans, arrêté à Niort en 1942 et jamais revenue de déportation. Ses anciennes camarades et amies témoignent.
Ce jour-là, c’était en octobre mais il faisait beau, malheureusement…, se souvient Janine Lambert et aussitôt elle s’étonne presque de ce «malheureusement» qui lui est venus spontanément. Oui il y a des jours où l’on aurait préféré qu’il fasse un temps de chien.
 
Le 9 octobre 1942, Émilie Liebermann, 14ans, a été arrêté à Niort pour être emmenée en déportation. Janine Lambert était sa camarade de classe.
La publication de nos articles avant-hier à l’occasion des 60 ans de la libération d’Auschwitz, a aiguisé des souvenirs. Notamment le souvenir d’Emilie Liebermann, élève au cour supérieur de l’école Paul Bert, qui a fait partie du convoi du 6 novembre 1942 pour Auschwitz, dont elle n’est pas revenue.
«On avait appris à l’école qu’elle allait partir à 14heures. On savait qu’elle était à la gendarmerie à Niort. Avec une camarade,on lui a apporté des bonbons. On est passé sous le porche, les gens étaient là par petits groupes. J’ai retrouvé Emilie, je dois être une des dernières à Niort à l’avoir vue vivante », témoigne Janine.
Plus tard, Janine a reçu deux cartes d’Emilie. Puis plus de nouvelle. Une autre niortaise se souvient parfaitement d’Emilie Liebermann et elle aussi était allée la voir à la gendarmerie le jour de son départ: Paulette Martin. Emilie avec une autre jeune fille prénommée Colette, était sa meilleure amie. Toutes trois habitaient Saint Florent.
 
«Chaque fois que je passe devant sa maison rue Nambot,je pense à elle»
«Sa famille était réfugiée des Ardennes. En 1942, nous avions 14 ans. Ses parents avaient fait l’objet d’un précédent départ. Elle restait avec ses frères et sœurs. Le car est parti de la gendarmerie de Niort pour Poitiers. Nous avons pu assister au départ, Colette et moi, car j’avais de la famille à la gendarmerie. Elle était heureuse de nous voir. Elle n’a jamais pleuré devant ses frères et sœurs. Elle voulait se montrer forte devant eux. C’est nous qui pleurions», se souvient Paulette.
C’est l’histoire de très jeunes filles, presque dans l’enfance, dépassées par les évènements. Ni Paulette, ni Janine, le 9octobre, lorsqu’elles vont voir leur camarade, ne comprennent que celle-ci part vers la mort.
«Je n’ai pas compris ce qui se passait. Les professeurs eux, s’en doutaient, je pense, mais ils ne nous parlaient pas de ça». Témoigne Janine.
«Emilie, j’ai souvent pensé à elle. Chaque fois que je passe devant la maison qu’elle habitait, rue Nambot, j’y pense.» Explique Paulette. Elle a reçu une carte d’Emilie postée à Poitiers le lendemain de son départ. Elle est adressée à Paulette et Colette. Emilie s’attend à partir d’un jour à l’autre pour Drancy, l’antichambre d’Auschwitz. Elle écrit à ses amies:
«Nous dormons sur des paillasses mais nous ne sommes pas trop malheureux. Je termine en vous embrassant mille et mille fois.»
Elle ajoute:
«Priez pour nous. Bonne chance pour vos études» en soulignant deux fois le verbe «Priez»

Yves Revert.

Article relevé dans la Nouvelle République du 30 Janvier 2005.



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