Inauguration du monument de la butte de Biard (1949)



« Soyons dignes de ceux dont nous honorons aujourd’hui la mémoire »
 
Dit M. Thomassin, préfet, à l’inauguration du monument de la butte de Biard.
130 patriotes ont trouvé la mort sous les balles des bourreaux allemands, à la butte de Biard. 130 poitevins qui ont donné leur vie pour la cause sacrée de la résistance et de la liberté. On ne pouvait laisser leur sacrifice dans l’oubli. La butte de Biard, au pied de laquelle ils tombèrent, a disparu. Sur son emplacement vient de naitre un monument qui perpétuera leur souvenir. On ne pouvait choisir un meilleur jour que celui du 8 mai, anniversaire de la victoire pour inaugurer ce monument.
Toute une population a aidé à l’organisation de cet évènement et dimanche après-midi une foule compacte, faite de gens recueillis, émus, graves, s’est portées autour du monument pour assister à la cérémonie inaugurale.
Autour du monument drapé dans les plis du drapeau tricolore, les emblèmes qui toute la journée avaient participé aux cérémonies patriotiques s’étaient rangés en face. On trouvait les personnalités habituelles; le préfet, le maire, les parlementaires du département, le clergé, les représentants du Conseil général, de l’administration préfectorale, municipale, etc.
 
M. Delaunay
M. Delaunay, président du Comité d’organisation, prit le premier la parole: Après avoir remercié toutes les personnes qui ont prêté leurs concours à l’édification du monument ou à la cérémonie du jour, il s’exprima en ces termes. « Au pied de la butte de Biard que vous avez tous connue, 130 patriotes sont tombés victimes de la barbarie allemande. Ici pour une dernière fois leurs yeux se sont ouverts à la lumière et ont contemplé le sol de France et les horizons poitevins. Une dernière fois, ils ont revu par la pensée les êtres chers, les lieux familiers et tout ce qui avait fait la douceur de leur vie passée. Tous avaient subi des tortures morales et physiques allant à l’extrême limites des forces humaines, mais ils n’avaient pas faiblis. Tous sont allés au poteau d’un pas ferme, parfois sous les coups de leurs bourreaux qui n’avaient pas le respect de celui qui mourrait pour la patrie.
De tels héroïsmes grandissent une nation, mais ces massacres déshonorent à jamais ceux, Français ou Allemands qui les ont inspirés, ordonnés ou exécutés.
Les soldats de l’armée secrète qui ont terminé sur ce terrain la lutte contre l’ennemi, honnis naguère, honorés hier, discuté peut-être aujourd’hui sont entrés dans l’histoire. Le temps aidant ceux-ci donnera leur véritable place dans la phalange des héros qui font notre gloire car ils sont morts pour de nobles idéaux.
72 avaient de 20 à 30 ans, 19 n’avaient pas 20 ans. Ils avaient l’âge des élans d’enthousiasmes magnifiques. Ils avaient fois dans les destinées de leurs pays. On leur avait dit naguère en leur enseignant l’histoire: Mourir pour la Patrie, c’est le sort le plus beau ». Ils suivaient l’exemple des héros qu’on leur avait proposé comme modèle.
En terminant, M. Delaunay s’adresse aux familles des disparus: « Aux parents de ceux dont le noms figure sur cette plaque, j’adresse l’expression de toute ma sympathie. Comme vous, j’ai donné ce que j’aimais le mieux à la France. Je partage fraternellement votre peine et je vous dis: « Nous devons rester dignes de ceux que nous pleurons, nous veillerons à ce que leur œuvre demeure, nous défendrons l’idéal auquel ils étaient attachés. Auquel ils ont tout sacrifiés. »
 
«Soyons dignes de ceux que nous honorons aujourd’hui la mémoire »
Après cette allocution, M. Thomassin, préfet de la Vienne, s’approche du micro: «  En ce jour anniversaire de la victoire des alliés, il convenait que nous réunissions dans une grande manifestation une foule recueillie sur l’emplacement qui fut autrefois la butte de Biard et où aujourd’hui, grâce à la générosité du peuple poitevin et à l’activité du Comité d’organisation dirigé par M. le président Delaunay, se dresse ce magnifique monument destiné à perpétuer la mémoire des 130 jeunes héros qui tombèrent sous les balles allemandes.
M. Delaunay, qui a donné à la France» ce qu’il aimait le mieux» et qui a souffert lui-même dans sa chair a su évoquer en termes sobres et éloquents le souvenirs dont ces lieux sacrés ont été les témoins. Il me semble entendre le crépitement des salves qui ici comme dans tant d’autres lieux de France, comme aussi dans les camps d’exterminations, fauchaient les français, victimes de la barbarie nazie. Ils sont tombés pour que nous puissions vivre libres, mais à quoi bon leur mort, et la mort de tant de milliers d’hommes tombés dans le combat clandestin, dans les geôles allemandes, sur tous les fronts de terre si nous ne savons pas nous montrer dignes de tant de souffrance et de sacrifice.
La résistance française, c’est l’histoire d’un peuple imbattu mais toujours fier qui a refusé le destin d’asservissement que des chefs indignes voulaient lui imposer. C’est peut-être si nous ne savons pas rester en nos desseins et unis dans l’action comme eux furent unis dans la mort le point de départ vers un avenir glorieux et fécond. Ils ont été la première pierre de la France de demain, et celle qu’il importe maintenant de reconstruire et de relever dans la paix reconquise.
«Soyons dignes de ceux dont nous honorons aujourd’hui la mémoire que la butte de Biard reste pour les Poitevins un lieu de pèlerinage au même titre que le Mont Valérien pour la France tout entière. Que chacun d’entre nous garde présent à la mémoire le souvenir de ces 130 martyrs des barbaries de la Pierre Levée, des héros du maquis poitevin. Ainsi continuerons nous l’œuvre qu’ils ont commencé, et marcherons nous dans la voie sacrée qu’en tombant ils nous ont ouverte et tracée.
 
L’appel aux morts
Puis M. Quintard, des FFI, commença le long et douloureux appel aux morts. Dans un silence émouvant, le nom des 130 victimes de la sauvagerie allemande fut prononcé. Enfin M. Delaunay et M. Quintard levèrent le voile qui dissimulait le monument. Quelques minutes plus tard la pierre disparaissait sous un monceau de gerbes apportées par le préfet, le maire, les associations des combattants. Les familles des disparus.

 

Article relevé dans la nouvelle République du 9 mai 1949.



Retour aux articles.