La traque impitoyable –Delbo-Phénix(4)
(Niort, 1944) |
Il y a 60 ans
aujourd’hui, le 21 février 1944, l’épisode le plus rocambolesque d’une
tragique histoire de résistance mettait un couple de petits commerçants
niortais au cœur d’une chaîne de solidarité héroïque. Un devoir de
mémoire.
Depuis mercredi, La Nouvelle République, avec la complicité de l’historien niortais Jean Marie Pouplain, vous raconte, en cette semaine anniversaire, la plus rocambolesque et la plus tragique histoire que les Deux-Sèvres ont connue durant la seconde guerre mondiale. Il y a exactement 60 ans aujourd’hui, le 21 février 1944, deux commerçants niortais, Georges et Jeannette Gibeault qui cachent Jean Hoyoux, un radio belge membre du réseau de Résistance Delbo-Phénix, reçoivent la visite d’un faux agent de réseau à la solde des allemands, Pierre Robert Lambert, baptisé Ledanseur par la gestapo. Très vite démasqué, l’imposeur tire sur le radio belge avant d’être blessé lui-même par Georges Gibeault dans son arrière boutique de la rue des Cordeliers. Ledanseur réussit néanmoins à s’échapper et à prévenir les allemands. Ils se lancent aussitôt à la recherche d’Hoyoux et des époux Gibeault et vont tenter de mettre la main sur tous les membres de cet important réseau de renseignements dont le Q.G est à Niort. Toujours sa balle dans la poitrine. Jean Hoyoux, blessé à la poitrine a été transporté à l’hôpital par les Docteurs Laffitte et Suire, membres de Delbo-Phénix. Ils sont à son chevet quand, peu de temps après, les allemands arrivent à leur tour avec… Ledanseur : les deux médecins niortais ont ordre d’opérer leur patient sur le champ. La balle de Jean Hoyoux devra attendre. N’ont-ils pas un autre blessé dans leurs services, demandent les allemands très suspicieux ? Les praticiens nient avoir accueilli et soigné le moindre blessé. Il y a urgence ! Il faut sortir Hoyoux du bâtiment Charcot où les sœurs l’ont caché. Et le malheureux a toujours sa balle dans la poitrine ! Par l’intermédiaire d’un sympathisant du réseau, Gustave Souchard, agent de la Shell, les médecins vont solliciter l’aide de pierre Ferrand, un vendeur du garage Citroën alors installé au début de l’avenue Saint Jean, juste en face de l’entrée de… l’entrée de l’hôpital. C’est dans cet établissement que les occupants font entretenir leurs véhicules. Ils ont un plan aussi audacieux que risqué. Avec la complicité d’un mécano, Edmond Bonneau et du chef de l’atelier tôlerie, Roger Viart, Pierre Ferrant va convaincre les allemands qu’avant de pouvoir récupérer l’une de leurs camionnettes bâchées qui vient d’être réparée, il est plus prudent de faire un ultime essai… Au nez et à la barbe des allemands. Roger Viart, au volant, les trois hommes filent aussi sec à l’hôpital, confectionnent un brancard de fortune avec une vieille porte-laquelle va d’ailleurs se casser sous le poids du robuste Jean Hoyoux ! – et réussissent, tant bien que mal, à charger le radio dans la camionnette. « Ils vont prendre la précaution de sortir, non pas par la porte principale, mais par celle de la rue de Navailles, précise l’historien niortais Jean Marie Pouplain. C’est en effet cette porte, située près du bâtiment où étaient hospitalisés les soldats de la Wehrmacht, qu’utilisaient toujours les véhicules des allemands. Ainsi les soupçons risquaient-ils beaucoup moins d’être éveillés. » Les « mécanos ambulanciers » filent alors sur Saint Liguaire chez le docteur Boyer. Il fait conduire Jean Hoyoux à la ferme de Chey. En voyant débarquer cette camionnette allemande, les paysans qui sont en train de procéder à un abattage de bétail clandestin prennent peur. Ils ne veulent pas prendre le risque de cacher le blessé et acceptent qu’on le mette, pour une nuit seulement, dans une grange voisine. Le véhicule regagne le garage Citroën qui est restitué- quel sang froid ! – à ses propriétaires. Ni vu ni connu. Le périlleux stratagème a fonctionné à merveille. Les paysans sont en train de procéder à un abattage clandestin. Ils prennent peur. Dé le lendemain, un mareyeur niortais, André Tesson, transporte Jean Hoyoux dans son camion jusqu’à Vallans où le radio belge restera quelques jours avant de repartir pour Frontenay puis, un peu plus tard, pour Epannes. Les allemands multiplient les recherches, il faut donc sans cesse changer de cache. Le blessé et les époux Gibeault vont ainsi chaque jour de ferme en ferme. C’est Louis Michaud, dit p’tit louis, le second du résau Delbo-Phénix, qui organise la fuite éperdue. Il met ses protégés à l’abri en forêt de l’Hermitain, dans la ferme des Nocquet. Et c’est là que le docteur Suire viendra enfin extraire la balle du poumon de Jean Hoyoux ! Mais les mâchoires acérées de l’implacable tenaille allemande se resserrent sur les fuyards. La gestapo remonte toute la chaîne. La gestapo, bien aidé par quelques dénonciations locales, ne perd pas son temps. Elle remonte toute la chaîne de solidarité qui s’est mise en place pour sauver Jean Hoyoux et les Gibeault. Le docteur Laffite a été arrêté dès le 22 février. Le 16 mars, c’est au tour de trois habitants de Vallans, Louis Chaignon, Marcel et Ulysse Papot. Le 19, les allemands ont à Frontenay et Epannes chez Amédée et Norbert Migault et Marcel Albert. Le 29, ils mettent la main sur Marcel Dubreuil à Vallans. Le 16 avril, p’tit louis est appréhendé par les allemands à Miauray près de Romans. Et deux jours plus tard, Jean Hoyoux, subit le même sort. Tout comme Georges et Jeannette Gibeault à la ferme de Bourgneuf à Prailles en même temps qu’Octave et Marie Nocquet. Et ce n’est pas fini. La gestapo est pugnace. Elle tient sa « longue corde »… Elle n’oublie pas le moindre maillon de cette chaine de solidarité : le même jour, à la Gravette de Prailles, les allemands arrêtent trois membres de la famille Fouchier qui avaient, eux aussi, hébergé Hoyoux et les Gibeault, puis Maurice Marteau de Magné chez qui se faisaient les émissions radio. Le 2 mai, c’est Tesson qui a droit à la sinistre visite de la Gestapo et le 5, le docteur Suire…En tout, vingt six personnes seront déportées en Allemagne. Dix-sept d’entre elles, dont Georges et Jeannette Gibeault, n’en reviendront jamais. Jean Hoyoux, seul survivant aujourd’hui de cette histoire inouïe, expédié à Dachau, en échappera miraculeusement. Il vit toujours dans son pays natal, la Belgique. En 1996, il est revenu à Niort où il a tenu à revoir chacun des endroits où des Deux-Sèvriens, ordinaires et anonymes ont, pour lui, fait montre de tout leur courage et de leur générosité. Pour lui, ils sont entrés discrètement dans l’histoire en marchant sans faillir au-devant de la mort. F.Bonnet.
Article relevé dans la Nouvelle République du 22 février 2004 |
Retour aux articles. |