Après Auschwitz, le silence pour fuir les cauchemars (Bressuire 2005)


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Revue historique (Paris)
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Source: gallica.bnf.fr



La Croix (1880)
La Croix (1880)
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Revue française de psychanalyse (Paris)
Revue française de psychanalyse (Paris)
Source: gallica.bnf.fr



Bernard Even avait 19ans quand il fut arrêté par la Gestapo. Rescapé d’Auschwitz-Birkenau, il s’est toujours tu : « A cause des cauchemars, je préférais mettre le couvercle sur ces souvenirs ». C’est pour son petit-fils, 58 ans plus tard, qu’il a accepté d’en parler pour la première fois.
Aujourd’hui âgé de 80ans, Bernard Even a commencé à parler de ses souvenirs de déportation, il y a deux ans. A la demande de son petit-fils, alors âgé de 18ans. Celui-ci est venu le voir en lui disant : « Je ne comprends pas grand-père, mon professeur dit qu’il n’y a eu que les juifs qui ont été déportés à Auschwitz. » Aussi, pour la première fois de sa vie, ce bressuirais d’adoption, lorrain d’origine et résistant de la première heure, a alors accepté de témoigner. Il est catholique, un des rares rescapés des camps de la mort aujourd’hui encore en vie.
Le fait d’en parler je vais encore passer de très mauvaises nuits.
Déporté à Auschwitz-Birkenau, puis à Buchenwald (plus tard encore les commandos de Flossenburg puis de Flöha), l’ancien résistant explique sont long silence par ce « sentiment » qu’il estime partager avec ses « compagnons de misère », celui de ne pas « aimer être pris pour un héros ». Nous ne voulons pas tirer une quelconque gloriole de tout cela dit-il. Surtout quand on sait comment nous nous sommes fait arrêter. Un coup foireux.
Nous devions intimider un supposé agent de la Gestapo, à côté de Meaux (Seine et Marne). Nous n’avons trouvé aucun document compromettant […] ». C’était le 2 janvier 1944. Il ne le savait pas encore mais débutait pour lui l’enfer. Arrêté par les gendarmes français, la Gestapo devait arriver un quart d’heure plus tard.
Au fur et à mesure du récit, le rescapé des camps de la mort évoque ce que l’ont est en droit estimer être le vrai motif de ces années de silence. « Cela n’intéresse personne, prévient-il. Je suis revenu des camps, pas en très bon état. J’ai même reçu l’Extrême-onction […] Tout cela a pris du temps. J’ai longtemps vécu avec des cauchemars. Lorsque cela remontait un peu, je mettais le couvercle dessus […]. Je peux vous dire que de vous en parler aujourd’hui, je vais passer quelques très mauvaises nuits […] »
En arrivant à Auschwitz le 30 avril 1944, quand le train à bestiaux s’est arrêté, « dans notre wagon il y avait deux morts, par déshydratation probablement. On nous a fit sortir à coups de matraque. Sur le quai, il y avait des prisonniers qui divaguaient. Je me souviens d’un jeune prêtre, il était devenu fou. Il courait de tous les côtés et refusait d’obéir. Des coups de pistolet […] »
Le wagon parti cinq jours plus tôt de Compiègne, prévu pour transporter quelques chevaux, contenait très exactement cent personnes. « Les deux-tiers étaient assis, tout petits en tailleur, les autres debout. L’horreur.
Nous nous sommes arrêtés une demi-heure en gare de Metz. Il y avait des femmes sur le quai-les femmes sont formidables- malgré les sentinelles qui grognaient, elles nous ont donné de l’eau par le vasistas. Ca a été la bagarre. Des chaussures nous ont servi de récipient. »
Etranges réactions :
Le bressuirais se souvient qu’il avait réussi à se « dégotter » un morceau de scie dans le camp à Compiègne et qu’avec son camarade, dans le train, ils ont voulu commencer à scier les planche du sol. « Les autres prisonniers n’étaient pas ‘accord. Vous arrêtez où on vous dénonce, nous ont-ils dit. Si on n’avait pas obtempéré, on se serait fait massacrer […] » La faim et la terreur font étrangement réagir les hommes. A Buchenwald, le déporté a vu deux frères qui se sont « battus violemment pour un trognon de choux pris à travers un grillage et que l'autre ne voulait pas partager […] Oui, on se pose des questions sur la nature humaine. »
Beaucoup plus tard, dans la vie active, l’ancien déporté conserve le souvenir du président de la société qu’il dirigeait. « Il me disait : « Vous paraissez toujours sceptique ». Je pensais alors : Si vous étiez passé par là où je suis passé, vous n’auriez plus d’illusion […]
P. Engerbeau

Article relevé dans la Nouvelle République du 16 mai 2005.



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