Un scandale à Constantinople
(1906)



Le petit journalDeux jeunes  femmes s’évadent d’un harem.
Il n’est bruit en ce moment, à Constantinople et à Péra de la fuite de deux jeunes musulmanes, dont le père occupe une situation très en vue.
Ce haut fonctionnaire s’appelle Noury-Bey ; il est secrétaire général du ministre des affaires étrangères. C’est un descendant d’une vieille famille française. Son père, le comte de Châteauneuf, venu en Turquie comme attaché à la compagnie des chemins de fer d’Aïdin, s’acclimata si bien dans le pays qu’il se fit musulman. Le fils accentua l’évolution vers l’Islam et fit souches de bon Ottomans. Il eut quatre enfants un garçons et trois filles, tous élevés dans la pure religion des vrais croyants. Mais la culture est restée très française. De là de fortes aspirations vers la liberté, chez ces recluses, qui avaient fini par considérer le harem comme une prison.

C’est qu’en vérité, la vie au harem, dont nos lectrices trouveront plus loin la description dans notre « variété », est d’une morne tristesse et ne laisse à la femme musulmane aucun espoir de jours meilleurs.
Aussi, deux des filles de Noury-Bey résolurent-elles de s’y arracher. L’une, l’aînée, est mariée à Tifa-Bey, secrétaire interprète du grand vizirat ; l’autre est encore jeune fille. Toutes deux se sont enfuies avec la complicité d’une institutrice qui leur donnait des leçons de chant et qui les fit partir avec les passeports de ses propres filles.

Depuis quelques années, ces révoltes de jeunes filles de noble origine contre la servitude des harems se produisent assez fréquemment.
Naguère encore, une proche parente de Redvan-Pacha, préfet de Constantinople, faisait un coup de tête pareil.

La fille d’un haut fonctionnaire de la régie est partie également, et vit tranquillement à Athènes, mariée suivant son cœur. La mère d’Izzet-Pacha, ministre de Turquie à Madrid, s’enfuit avec un secrétaire de la légation de Belgique. La liste est très longue de ces évasions, qui sont un signe des temps. Les barrières du harem tombent peu à peu devant les impatiences des recluses.

Les deux filles de Noury-Bey sont parties d’abord à Belgrade. Un moment elles y ont été arrêtées, et leur père est immédiatement parti pour les reprendre. On comptait même, d’une façon certaine, qu’il les  ramènerait à Istanbul, mais elles ont réussi à lui échapper et elles ont quitté Belgrade dans des circonstances tout à fait romanesque.

En effet, comme la police serbe avait cerné la gare pour les empêcher de partir jusqu’à l’arrivée de leur père, elles ‘évadèrent en pleine nuit, avec l’aide d’un ami qui les avait connues à Constantinople. Elles traversèrent le Danube dans une barque ; une voiture mystérieuse les attendait sur l’autre rive. Elles y montèrent et parvinrent à aller prendre le train à Zemlin, en territoire hongrois.

Elles étaient sauvées. De là, en effet, elles ont gagné Paris, terme indiqué et charmant de toutes les aventures de ce genre…
 

Article et gravure relevés dans le petit journal du 4 février 1906.



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