L’empereur veut qu’on danse à Berlin (Allemagne 1916)


Collection Gallica/BNF


[Recueil. Portraits de Guillaume II, empereur d
[Recueil. Portraits de Guillaume II, empereur d'Allemagne]
Source: gallica.bnf.fr


Les Discours de Guillaume II pendant la guerre. Recueillis par Mme Marie Méring. Traduits par Mme A. H.,...
Les Discours de Guillaume II pendant la guerre. Recueillis par Mme Marie Méring. Traduits par Mme A. H.,...
Source: gallica.bnf.fr



Noces d
Noces d'argent de l'Empereur Guillaume II (TR)
Source: gallica.bnf.fr



La grande préoccupation des dirigeants de l’Allemagne c’est de continuer à illusionner le peuple, à le tromper sur la véritable situation du pays.
Le peuple, cependant, commence à savoir, mais on s’acharne toujours à lui cacher la vérité, à lui faire croire que rien n’est changé dans la vie nationale. On l’amuse et on l’abuse.
Tous les voyageurs qui ont parcouru l’Allemagne depuis le début de la guerre s’accordent à signaler l’animation factice des grandes villes allemandes où tout commerce est mort, mais où la vie du soir s’efforce cependant de rester brillante. Tous ont parlé de ces restaurants luxueux où bâfrent copieusement les gens riches et leurs beaux officiers, pour faire croire au peuple, qui les regarde et qui crève de faim, que l’Allemagne a tout en abondance; tous ont parlé de l’affluence aux théâtre, au cinémas, dans tous les lieux de distraction; tous ont dépeint »cette foule abusée néanmoins lentement avertie, lasse, anxieuse, affectant cependant par ordre une douloureuse sérénité, terrorisée, n’osant rien dire, se sachant menacée à la moindre velléité de plainte ou de franchise ».
« Par quels moyens, dit un de ces voyageurs, a-t-on réussi à mystifier ainsi le peuple allemand?
« Est-il nécessaire de rappeler le rôle qu’ont joué dès le début la fameuse agence Wolff, les intellectuels, les ecclésiastiques de toutes confessions, la presse des « reptiles » comme disait Bismarck , l’empereur enfin et sa parole impériale ?… Puis les grandes victoires » en Belgique, - la criminelle Belgique -les nom moins « grandes victoires » remportées en France fortifièrent si possible et surexcitèrent l’orgueil du peuple. Vinrent ensuite le bluff des Zeppelins, les « exploits » des sous-marins. Et quand l’Italie se rangea du côté de l’entente, on répéta la phrase si ressassée déjà: « Plus nous avons d’ennemis, plus nous aurons d’honneur à les vaincre. » Les rodomontades « en veux tu en voilà » ne coutant rien, on en usa et on en abusa… Les « colossales victoires » sur le front oriental vinrent à point, plus tard, pour ranimer un instant les plus folles espérances d’une paix avantageuse et prochaine. Enfin, la campagne dans les Balkans, entreprise pour retremper par de faciles victoires les énergies défaillantes.
Mais tout ce bluff ne suffisant plus pour galvaniser les enthousiasmes et la population commençant à se laisser aller à la tristesse, au découragement, au doute, on décréta en haut lieu que la gaîté serait à l’ordre du jour.
Les allemand n’étant plus d’humeur à s’amuser de gaîté de cœur durent s’amuser par ordre. Et l’empereur donna cet ordre inouï, cet ordre invraisemblable aux dames de la société berlinoise.
« Mesdames, rouvrez vos salons, je veux qu’on danse à Berlin! »
Et les dames rouvrirent leurs salons, car un ordre de l’empereur ne se discute pas. Et elles lancèrent les invitations pour leurs bals.
Or, l’une d’elles, qui avait l’habitude d’inviter à ses sauteries les beaux officiers de la garde s’inquiéta, avant d’envoyer ses invitations, de ce qu’étaient devenus ses danseurs ordinaires. Sur deux cents, cent quatre vingt étaient morts, ensevelis dans les boues de l’Artois ou dans les marais de Saint-Gond.
On dansera cependant à Berlin, pour obéir à l’empereur; les dames danseront entre elles ou avec les enfants, ou avec les vieux chambellans cacochymes. Ah ! Les jolis danseurs qu’il leur a laissés, l’empereur.
On dansera pendant que les hommes se feront tuer et que leur familles mourront de faim.
Mais combien de temps, dansera-t-on ?
 
 
Article et gravure relevés dans le petit journal illustré du 6 février 1916.


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