La renaissance des coutumes bretonnes (Huelgoat, Finistère 1921) |
C’est un des plus
jolis coins de cette admirable Bretagne. La nature y a rassemblé, de la
plus séduisante façon, les différents caractères de la terre bretonne,
terre d’héroïsme et de légendes : la lande sauvage, ou se mêlent l’or
des genêts et le rose mauve des bruyères, ; la prairie verdoyante
enclose de haie vives ; les profondes forêts où alternent le grave élan
des sapins aux troncs roux et les voûtes majestueuses des chênes ; les
gorges étroites au fond desquelles courent, chantent, mugissent, parmi
des écroulements impressionnants de rochers gigantesques, les eaux
pures des torrents capricieux, jaillis des flancs de collines de granit
farouchement dentelé.
Pays délicieux, d’une grâce sauvage et d’un charme incomparable, peu connu des touristes, aimé des peintres parce qu’il a conservé, presque intact, son authentique cachet breton, avec ses vieilles fermes, ses moulins, ses vieilles églises, ses calvaires, d’une si grande richesse, en leur granit travaillé avec tant de ferveur et de piété, avec tous ses vestiges du passé le plus lointain, dolmens et menhirs ! Pays attrayant, terre promise du tourisme, plus riche que tout autre en curiosités vraies, d’une immense séduction, avec ses mille légendes, ses costumes merveilleux, ses chansons pleines d’émotion et de charme ; terre de l’hospitalité digne et cordiale ! Huelgoat… C’est une rue et quelques ruelles plantées sur un ressaut du sol, à l’entrée d’un vallon… que des aventuriers allemands, venus du XVe siècle, ont transformé en lac, un gentil petit lac dans lequel se mire la gracieuse cité. Ces aventuriers allemands obtinrent alors le droit de faire des fouilles et d’exploiter des filons d’argent qu’ils avaient prévus ; et pour le lavage des minerais, obtinrent aussi l’autorisation de créer un barrage et une canalisation d’eau. Et c’est ainsi que naquit le lac, aujourd’hui encore propriété abusive d’une compagnie minière inactive qui en a concédé le droit de pêche – 50francs par an – à un riverain maussade et exclusif, lequel interdit à tous l’usage du lac. Il est en effet, de par l’ordre de ce maître des eaux, défendu de se baigner et d’avironner sur le gentil petit lac d’Huelgoat. C’est dans cet
aimable cadre que se sont déroulées les grandes fêtes bretonnes
auxquelles ont participé les gars et les jeunes filles de haute et de
basse Cornouaille, de Bigoudenie, du bas et du haut Léon, du pays de
Tréguier, et une foule immense de curieux et de touristes.
Précédé des joueurs de biniou et de bombardes,
déchaînés, et du cortège splendide des gars et des jeunes filles en
costume breton, et encadré des robustes cavaliers chevauchant leurs
réputés bidets bretons fleuris et enrubannés, le ministre entra parmi
les acclamations et suivi d’une foule qui dansait, électrisée, par les
« gniengniengien » des binious, dans la bonne ville de HuelgoatLa première journée fut quelconque, consacrée à une sorte de congrès des syndicats d’Initiative de Bretagne, mais la seconde fut un enchantement, par un temps radieux et doux. Dès l’aube, le vallon, la cité et la montagne furent en joie, choses et gens comme saisis d’allégresse, avec ronflements des binious et aux accents stridents et étranges des bombardes. Jamais ministre ne connut de plus gracieuse ni plus somptueuse réception que celle que ménagea à M. Le Troquer, enfant de Bretagne et ministre des travaux publics, la coquetterie enthousiaste des solides gars bretons et des jolies filles demeurées fidèles aux traditions. Pour lui et aussi en vue du grand concours de costumes bretons, il et elles avaient sorti des vieilles armoires de chêne les costumes classiques ; eux les culottes bouffantes, les gilets brodés de soie, les vestes courtes, les chapeaux enrubannés, les guêtres ; elles les jupes de satin et de velours, aux teintes adorables, éclatantes et pourtant fatiguées, merveilleusement brodées d’or et d’argent ; les riches tabliers, les dentelles rares, les coiffes précieuses ; ainsi parées, graves et souriantes, toutes étaient ravissantes ; certaines avaient la splendeur des saintes-vierges, idoles vivantes qu’on ne se lassait pas de regarder et d’admirer. On liquida à la va-vite toute la partie officielle, réception à la mairie, visite au camp de la presse- ou cinquante journalistes attirés par les fêtes campent sous la tente – le banquet, présidé par le ministre et le maréchal Foch, et clos par une abondante série d’éloquents discours qui chantèrent le retour aux saines coutumes régionales, et l’on aborda le pittoresque programme des réjouissances traditionnelles bretonnes : le concours de costumes, qui fut un émerveillement aux splendeurs des costumes de Carhaix, de Pont-L’abbé, de Plougastel, de Quimper, de Fouesnant, de Pont-Aven, de Concarneau et de Douarnenez, de Plougastel et d’Ouessant, de Saint-Pol et de Roscoff, de Lannion et de Paimpol, d’Auray et de Guérande ; le concours de danses bretonnes chantées où triompha la gracieuse, chaste et mutine »dérobée » ; le concours de biniou et de bombardes où triomphèrent le fameux Léon, de Carhaix ; Michel, le vieux Michel qui depuis 47ans fait danser les gars et les filles du pays ; et l’aveugle Le Garrec ; puis ce fut le tour des jeux et sports bretons, la lutte dans la prairie de la roche branlante, devant une foule attentive et enthousiaste massée dans une arène naturelle d’une immense beauté ; et le jeu de la perche et le lancer de la pierre ; et sur les places, et sur le mail, et dans les venelles, partout la danse joyeuse et les sarabandes endiablées. Et le soir vint, et à la lumière des banderoles électriques et des lampions, la fête se poursuivit tard dans la nuit douce et enchantée, cependant que les binious faisaient rage dans le grand silence parfumé du vallon et des collines, électrisant les jambes infatigables des hommes et des femmes, jeunes et vieux ; et que d’ici et là montaient les refrains bretons que chantaient les bardes populaires Barr Hio , Yan Caroff et Yves Lechat et de temps à autre aussi repris en chœur, le magistral chant national breton, mélodieux, tendre et d’un patriotisme ardent. Et sans cesse les binious faisaient rage, ces binious aimés des bretons, ces binious dont la mélopée et les sons stridents parlent tant à son cœur, à son âme, ces binious aux accents desquels les bretons de l’Yser se firent tuer jusqu’au dernier pour le salut de la grande et de la petite patrie. Poursuivant sa croisade en faveur de la renaissance des coutumes régionales, le Touring Club de France, secondé par l’Office national du tourisme, a provoqué, à l’occasion de l’assemblée générale des syndicats d’initiative de Bretagne, une grande fête des coutumes, des costumes, des danses, des chansons et des jeux bretons. Cette fête s’est déroulée les 17 et 18 septembre dans le cadre si gracieux et si pittoresque de Huelgoat.
Frantz Reichel
Article relevé dans le petit journal illustré du 2 octobre 1921. |
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